Le Mantelerlass – et maintenant?

21.11.2023
Au lendemain de l’adoption du Mantelerlass par le Parlement, ce qui constitue une grande avancée en matière de développement des énergies renouvelables, beaucoup de questions se posent concernant sa mise en œuvre. La rencontre annuelle romande des «Thèmes-clés de la politique énergétique» de l’AES était l’occasion pour la branche électrique, la Confédération et les politiques d’en discuter et d’entrevoir les perspectives à court, moyen et long terme.
Les membres du Conseil national Manfred Bühler, Céline Weber et Gerhard Andrey discutent avec l'animateur Bernard Wuthrich (de gauche à droite).

En guise de mot de bienvenue, Michael Wider (président de l’AES) a tenu à rappeler à l’assemblée la tâche claire qui incombe à la branche par la loi: «l’approvisionnement énergétique relève de la branche énergétique et les GRD prennent les mesures requises pour pouvoir fournir en tout temps, dans leur zone de desserte, la quantité d’électricité désirée au niveau de qualité requis et à des tarifs équitables». La conservation de l’énergie doit être garantie à tout moment, que ce soit physiquement et économiquement. Et c’est une formule délicate mêlant production, consommation, importations et exportations qui l’illustre, en toute conscience du fait que la transition énergétique va ébranler chacune des variables de l’équation.

La stratégie énergétique, entre nécessité d’accélérer et référendum

Benoît Revaz (directeur de l’OFEN) a tenu à dresser un petit état de situation en matière d’approvisionnement de gaz et d’électricité. Si la situation est moins tendue qu’à l’approche de l’hiver dernier, elle n’en est pas moins sérieuse. Mais il a tenu à rappeler que la Suisse pourra compter cet hiver sur les mesures à court terme prises par la Confédération dans les domaines des réserves, des objectifs d’économie d’énergie et des accords de solidarité, notamment avec l’Italie.

Le directeur de l’OFEN a également rappelé que c’est le Mantelerlass qui est censé permettre à la Suisse, à moyen terme, un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables. Mais, afin d’atteindre les objectifs ambitieux qui ont été fixés, il va falloir accélérer les procédures d’autorisation pour les grandes centrales de production. Le Conseil fédéral en est conscient et son projet est actuellement au Parlement. Une chose est certaine pour la branche électrique: une accélération des procédures est indispensable, mais n’a de valeur que si le développement du réseau se fait en parallèle du développement des installations de production. Dominique Martin (responsable Affaires publiques de l’AES) a bien insisté sur ce point. Le projet dédié au réseau, annoncé par le directeur de l’OFEN pour le 2ème ou 3ème trimestre 2024, sera suivi de très près par l’AES. Il est également revenu sur le référendum lancé contre le Mantelerlass et les travaux préparatoires d’ores et déjà entamés en vue d’une éventuelle campagne de votation, dont l‘échéance sera probablement en juin 2024 et l‘issue décisive pour la branche.

Quant à la coopération avec l’UE, nécessaire pour la sécurité d’approvisionnement en électricité, on attend les détails du mandat de négociation pour la fin de l’année. La mise en oeuvre d’un éventuel accord sur l’électricité dans le droit national pourrait être envisagée le cas échéant dès 2025–26 au plus tôt.

La Suisse a voté, et maintenant?

S’il fallait résumer les dernières élections fédérales, Martina Mousson (cheffe de projet chez gfs.bern) dirait qu’elles étaient placées sous le signe de la stabilité, avec les partis gouvernementaux qui ont renforcé leur électorat (avec 75%, contre 65% en 2019). On peut parler de marasme vert et de virage à droite, avec les Vert-e-s et les Vert’libéraux qui perdent 11 sièges au Conseil national, au profit de la droite bourgeoise et de la droite. Concernant les sujets abordés durant la campagne des élections, ce sont la migration, les primes, le pouvoir d’achat et les rentes qui ont remporté le prix des thèmes les plus présents, le climat s’étant fait entendre, mais sans dominer. Intéressant à observer, ce sont les attentes prioritaires de l‘électorat vis-à-vis du nouveau Parlement: si les mesures contre la hausse des coûts de la santé arrivent en premier, faire avancer la transition énergétique occupe la seconde place.

Il y a encore du pain sur la planche en matière de politique énergétique

Sous la modération de Bernard Wuthrich (journaliste spécialisé en politique énergétique), un débat a porté sur la suite à donner au Mantelerlass. Les trois parlementaires présents ont insisté sur l’importance d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité de la Suisse.

Pour Céline Weber (conseillère nationale PVL/VD), «le Mantelerlass est un projet pionnier à l’image de ce qu’ont fait nos ancêtres avec les barrages», et son parti le soutient face à un référendum. Ses priorités dans la loi: l’efficacité et la notion de projet de société, avec toutes les opportunités en matière d’innovation et de travail. Elle soutient également «la prolongation des centrales nucléaires existantes et le développement technologique, tout en souhaitant une solution pour les déchets radioactifs».

Manfred Bühler (conseiller national UDC/BE), pense qu’on peut «faire un pas pour atteindre les enjeux à court terme». Mais il faudra «prendre des décisions courageuses pour le moyen et le long terme, comme la priorité aux installations plutôt qu’à la biodiversité et aussi la question du nucléaire». Ses priorités dans le projet se résument à la production électrique indigène et au réseau européen, tout en restant conscient de la fragilité du système dans le futur et de la nécessité d’être un peu plus autonome.

Quant à Gerhard Andrey (conseiller national Les Verts/FR et candidat au Conseil fédéral), il confirme que son parti soutient absolument le Mantelerlass. Ce serait un réel problème si cette loi ne passe pas devant le peuple, «parce qu’on a tellement peu investi dans le domaine de l’énergie ces 40 dernières années». Pour lui, le nucléaire n’est «ni renouvelable, ni indépendant (si on pense à la matière première)». De plus, «ça ne tient pas la route», si on pense déjà aux soucis en termes d’acceptation des éoliennes, par exemple.

Accélération des procédures, réseau électrique et collaboration européenne mettent tout le monde d’accord

Les trois élus sont convaincus qu’il faut accélérer les procédures d’autorisation, tout en préservant la volonté populaire. Concernant le réseau, ils conviennent que le Parlement a tardé à s’occuper de la question, mais sont unanimes sur le fait qu’il faut le développer et l’adapter en priorité. Il faut «raisonner en système, y compris en termes de financement», selon Manfred Bühler. Céline Weber insiste sur le fait que «le réseau doit être en mesure de supporter» la production renouvelable future, elle a d’ailleurs déposé un postulat à ce propos. Gerhard Andrey est convaincu que «le réseau est un eldorado en matière d’innovation». Quant à la question européenne, les parlementaires sont unanimement convaincus qu’il est indispensable de pouvoir travailler ensemble et que des accords sont nécessaires.

En clôture, Michael Frank (directeur de l’AES) a insisté sur les «quatre éléments mammouths» qui lui viennent à l’esprit à la fin de l’édition 2023 des «Thèmes-clés de la politique énergétique». Tout d’abord, la branche va devoir lutter pour la sécurité d’approvisionnement. Cela risque bien de passer par une campagne de votation et l’AES s’y prépare. Car «il faut être honnête: à court et moyen terme, le Mantelerlass est la seule solution». Ensuite, la question des consultations. Les projets de lois et d’ordonnances qui sont attendus sont nombreux, mais c’est un défi que l’AES est prête à assumer. Aussi, on sait que «pas d’accord avec l’Europe est synonyme de hausse des coûts, donc pas bon pour l’économie et les consommateurs». Point positif: le Conseil fédéral a donné le mandat aux départements concernés de discuter avec la branche. Et finalement, il n’est pas possible de renoncer à des résultats de la recherche pour le futur. Le directeur de l’AES souhaite que cette ouverture pour le futur, et l’innovation qui en découle, se fassent aussi sentir dans le nouveau Parlement.