«L’approbation pourrait alors en pâtir»

23.11.2023
Début décembre, commencera la 52ᵉ législature. Urs Bieri, chercheur spécialisé dans les élections chez gfs.bern, explique dans cette interview comment les résultats des élections se répercuteront sur la politique énergétique des années à venir, et aborde l’influence des prix de l’électricité en hausse sur l’approbation de la stratégie énergétique dans la population.

Pour vous, qu’est-ce qui ressort des élections 2023?

Urs Bieri: Chaque élection apporte son lot d’inattendu. Pour moi, la non-réélection de la conseillère aux États verte genevoise Lisa Mazzone est un fait marquant de ce scrutin. Mais la plus grosse surprise a été quelque chose qui ne s’est pas produit: la pandémie de Covid, un «événement du siècle», n’a eu aucune influence sur l’élection. Il n’est rien resté des voix critiques envers les mesures et le système. Cela montre à quel point, à l’époque actuelle, tout est éphémère. Un événement peut être marquant aujourd’hui et déjà oublié demain.

Cela se vérifie-t-il aussi concernant l’inquiétude autour du climat?

Oui et non. La crise climatique est toujours perçue comme un gros problème par la population, nous le voyons dans le baromètre des préoccupations. Le climat reste très présent et important. Mais cette fois, ce n’était absolument pas une élection sur le climat comme cela avait été le cas il y a quatre ans. D’autres sujets, surtout ceux qui font l’objet de discussions émotionnelles telles que l’immigration, les coûts de la santé ou le pouvoir d’achat, ont marqué le débat public en cette année électorale, repoussant le climat à l’arrière-plan.

Vous parlez d’une «élection placée sous le signe de la stabilité». La politique énergétique va-t-elle changer avec le nouveau Parlement?

C’est difficile à évaluer. Au Parlement, nous continuons d’avoir les deux pôles qui s’opposent sur de nombreuses questions. Lors des élections, le camp bourgeois et conservateur de droite a gagné du terrain dans l’ensemble, mais est toutefois loin d’obtenir une majorité. Beaucoup de choses dépendront donc, comme jusqu’à présent, du centre renforcé, lequel n’est pas connu pour mener une politique énergétique de droite et bourgeoise. Ce que nous voyons clairement dans les sondages, c’est que la population attend des solutions. Faire avancer la transition énergétique est vu comme une tâche centrale du nouveau Parlement. Seul sujet encore plus important: maîtriser les coûts de la santé en hausse.

La population souhaite une accélération du rythme de la transition. Malgré tout, l’acceptation vis-à-vis du développement des énergies renouvelables fait souvent défaut. Pourquoi?

Sur le principe, l’acceptation des énergies renouvelables et de leur développement est élevée. Mais, au cas par cas, différentes lignes de conflit se font jour – elles existent depuis longtemps et se maintiendront. Il peut s’agir de coûts qui pèsent sur le porte-monnaie, d’une résistance issue du camp vert-écologiste ou d’une opposition de la droite conservatrice – par exemple sous la forme de la protection du paysage, ce camp ne voulant à aucun prix que le patrimoine suisse se couvre de constructions. Tout cela reste comme obstacles au développement des énergies renouvelables. Nous voyons aussi régulièrement, dans différentes votations, que les interdictions rencontrent généralement peu d’approbation.

Urs Bieri est politologue et, depuis 2016, co-directeur de l’institut de recherche sur la politique et la communication gfs.bern. Ses recherches portent notamment sur les élections et les votations.

L’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires pourrait-elle de ce fait aussi être supprimée?

La discussion devra être menée en raison de l’initiative «Stop au blackout» si celle-ci devait aboutir, ce qui semble se profiler. L’énergie nucléaire peut se targuer d’avoir une histoire mouvementée. L’époque où le nucléaire était vénéré comme une technologie glorieuse est révolue depuis une bonne cinquantaine d’années. La population a clairement voté pour la sortie du nucléaire et continue à soutenir cette décision. L’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires ne serait remise en question que soit si la sécurité d’approvisionnement était sérieusement menacée et que cela se ressentait au quotidien, soit si de nouvelles technologies apportaient de grands progrès au niveau de la sécurité, du stockage et du démantèlement.

Les prix de l’électricité en hausse ont-ils des répercussions négatives sur l’approbation de la stratégie énergétique?

D’après nos sondages, un approvisionnement sûr en électricité se voit accorder une priorité plus grande que les coûts de l’énergie. Si ceux-ci continuent d’augmenter, ils pourraient toutefois absolument devenir un facteur qui compte. Le coût de la vie augmente de manière générale dans différents domaines: loyers, caisses-maladie, alimentation. Si de nouvelles mesures renchérissantes génèrent des coûts supplémentaires qui viennent s’ajouter aux coûts fixes de toute façon déjà élevés, l’approbation de la stratégie énergétique pourrait en pâtir.

La Confédération va probablement bientôt négocier un accord sur l’électricité avec l’UE. Quelles sont les chances auprès de la population?

Les relations bilatérales sont une success story. La population est consciente que ces accords ont apporté de la prospérité à la Suisse, que les relations avec l’UE s’érodent et qu’il faut donc les faire évoluer. L’acceptation par les citoyennes et les citoyens d’un accord sur l’électricité dépendra à la fois du cadre – c’est-à-dire des questions institutionnelles telles que la protection des salaires ou le règlement des litiges – et de l’accord sur l’énergie lui-même. La libéralisation du marché de l’électricité, par exemple, pourrait déclencher de la méfiance. Il est sûr que cette libéralisation ne jouit pas d’une meilleure image depuis la crise énergétique, car on a vu comment les consommateurs pâtissaient des prix records sur le marché. Dans la comparaison, ces réserves quant à la libéralisation pourraient relativiser l’utilité d’un accord sur l’électricité pour la sécurité d’approvisionnement.